Une Rencontre

Textes écrits dès le 10 novembre 2015 à Bruxelles

Qu’est-ce que tu en sais ?

Avoue que lui aussi sais cultiver une certaine aura mystérieuse autour de sa personne. Cela fut sans doute décisif. Cela et aussi… ce talent que tu as d’étancher l’inconstance de tes connaissances avec une mélasse que d’autre ont pour toi réchauffer. Tu te découvres maintenant habité de ces schémas de pensée dépassée qui pourtant te semble déjà le cerner au plus près. Comme lui, tu modèles d’éphémères chimères aux reflets d’argents. Tu bâtis sur d’arides contrées des géants de toiles et de pailles dont l’artifice ne saurait faire triste figure. Mais qui l’objet de tes illusions sert-il vraiment ? Cet inconnu, il te faudra le rencontrer. Tu ne sais encore ce que tu pourrais découvrir. Pour le moment, cette vraisemblance qui se tient en face de toi, n’est que le chant de ces chimères que tu entonnes seul. Alors, au pied du mur et comme un dernier caprice, tu réclameras un dessein existentiel à cette entrevue. «Cacher ce graphisme que je ne saurais voir». Certainement te détacher de cette fugace discipline te permettra de sauver les apparences, de te draper d’une certaine grandeur d’âme. En es-tu au moins capable ? Tu annonceras t’en garder, mais tu ne pourras t’empêcher d’user des poncifs du genre. Tant se sont fourvoyés dans les steps arides de ce verbiage emprunté, en particulier quand il fut question deDesign. À priori, tu tenteras de taire les vices qui t’accaparent, mais cela ne fera que te confiner dans l’ordre des choses enfui dans l’au-delà de ta psyché. L’heure de votre rencontre approche et la nécessité se fera jour. Je ne sais encore si tu daigneras t’aventurer hors de ta zone de confort. Sache que rien ne t’y contraint. Tu peux accepter ce que tu sais déjà puis laisser dériver le vertige de tes pensées.

Parlerez-vous alors d’autre chose que de Design, j’en doute. Avec certitude, tu sais qu’au fond, vous vous connaissez déjà. Mais quand débuta votre rencontre ?

Dans ce café de Saint Gilles où je suis attablé, à la quatrième table décrivant l’angle de l’entrée, j’attends un homme dont je dois m’enquérir de la pratique. Je patiente depuis de longues minutes maintenant. Je relis une énième fois, sans grand enthousiasme, les quelques notes censées structurer notre discussion. Au cas où… En même temps, je ne peux m’empêcher d’envisager que sa venue est d’ores et déjà compromise. Flotte alors l’odeur d’un entre-deux. Assise à mes côtés, le café de cette fille semble s’être évaporé depuis un temps, ne laissant plus que la trace chancelante et brune d’une orbite inscrite sur la porcelaine. Les quelques miettes d’un croissant, soigneusement rassemblées par une main alourdie de parures, trahissent l’heure de son arrivée ici. A quelques tables de là, un homme. Je ne lui donne psa plus de 30 ans. Pourtant l’ampleur de la veste de costume, d’un gris affecté alerte sur la morne routine d’un garçon à la vigueur déjà défraichi. Celui-ci agglutine sur son étroite fourchette les trois étages d’un plat de viande, qu’il ingurgite dans un rythme et une cadence machinale. Bidoche et caféine. La conjonction de cette improbable mélasse éthérée me distrait avec gaité. Je respire lentement, dans toutes les directions afin d’enrichir cet affriolant cocktail de senteur. En vain. Autour de moi, des gens récitent par cœur les sentences de l’oublie. Ils rient et s’exaspèrent, provoquent et s’embrassent. Face à face dionysiaque ; chacun au front du miroir de ses illusions propre. Je n’ai guère de reflet pour me divertir. Demeure, comme seule compagnie, l’attente d’un rendez-vous qui sans doute ne se fera pas. Les raisons qui m’ont fait accepter ce rendez-vous ressurgissent. Je rythme l’absence avec un stylo à bille noir contre la surface de mon carnet. Rien ne se passe. Je me revois, tout comme je me revoyais ce matin posant des questions à cet inconnu, tentant, en vain, de ne pas m’embourber dans d’infinies questions d’exégèses. Afin de couper court aux affres de cette réalité autre, j’écoute et j’observe le tumultueux concert des affamés. J’écoute la différence qui, a cet instant, nous lie vous et moi. J’étais venu en ce lieu dans un but avoué. Petit à petit, minute après minute l’évidence de ma présence perd de son éclat. J’en suis absolument désœuvré. Certes, j’attarde le silence de mon regard sur vos postures, sur vos atours, sur vos gestes, sur vos lèvres remuantes de systématise. J’attarde ce regard avec certes une pointe de sarcasme mêlé à de la curiosité. Vous, gens du monde, deviez être ici pour une bonne raison ? Un ami, un amant, un proche, peut-être un autre type de la boite ? Moi, je ne suis ici pour rien, pour personne à présent. Celui censé détenir 50 % du capital de notre rencontre s’est tiré avec la caisse. Comme pour taire les regards agacés de la serveuse, je commande un malheureux jus de pomme. Cette fille, figée dans son va et viens frénétique, répond par un hochement de la tête simple et rudimentaire. Elle retourne sitôt dans sa course. Décidément la tendance est aux tohu-bohu triomphants.

Je me souviens avoir rencontré Sander la première fois un soir de novembre. Je l’ai tout de suite reconnue. Son allure élancée, sa silhouette trop maigre, son crâne fané et rasé à blanc. Cet homme, que j’avais jusqu’ici érigé en un poster immense, prenait tout à coup vie sous mes yeux. Somme toute, son accoutrement était ici bien moins guindé que les quelques photos de biographie officiel. Négligence de circonstance au vu de l’heure avancée de la nuit. Quelques heures plus tôt, je recevais un dernier message me confirmant un rendez-vous qu’il ne devait pas honorer. « Très bien, j’y serai. À mercredi ! ». Comme quelques heures trop tôt, le voilà qui s’invitait au creux de nos échanges d’anonyme, accompagné d’un apparent hasard. La possibilité d’une rencontre, mais une rencontre que ma discrétion sut tenir à distance afin de préserver la délicatesse de cette coïncidence, dans cet instant hors du monde, que tout lien au présent aurait privé de sa délicate saveur. Flottant autour de faces hilares et chavirées s’étendant par la foule qui nous ceint, mon regard cherche et chancelle autour de la présence de Sander. Voir et savoir le maigre secret de notre lien inavoué, distille en moi un certain plaisir. Voir et savoir en demeurant caché. Espion de pacotille. L’éther de mes yeux absents doit sans doute me faire passer pour un imbécile accompli. Disons que ma couverture ne m’apporta guère d’avantage stratégique majeur. Il faut dire que je n’en avais que peu à faire. Nous retrouver anonymes parmi les badauds me suffit. Que la veulerie de mon action nous laissa tous deux ivres des clameurs nocturnes, ce jeu m’intéresse. Deux hommes parmi les saouls déclamant auprès des nôtres de scabreux poèmes. Odes à l’idiotie vaine que nous sommes forts de représenter merveilleusement. Je ne t’aurais rien dit d’important, rien d’amusant, rien qui n’aurait transcendé la décevante platitude de nos boites mails. Au moins nous demeurions un peu plus que des designers pour un temps du moins. Nous nous sommes côtoyés sans armure ni emprunts, suivant le cœur gai, les flots de la débandade. J’ai partagé avec toi un moment, loin du cadre formel de nos rôles respectifs. In fine, où se situe le Jeu ? Sur la scène des conventions sur lesquels nous veillons ou dans ses brèches où la connaissance s’efface devant l’envie.

« Je serai le grand chauve avec une moustache. Bien à toi ».

Ton costume était parfait.

Les badauds vont et viennent, tandis que j’attends qu’un l’ennuie m’éprenne.

Le silence des rendez-vous manqués, l’écho de ceux à venir.

Les reliefs de l’automne

L’ennui, prophète d’une absence déjà installée aux commissures de nos jours perdus. Si seulement l’absence bâtissait la nécessité de faire sens. Et puis alors ? Rien si ce n’est une mascarade bien fondée, mieux fondée. D’autres avant nous s’y sont plongés. Horde de corps sans âme ralliant, à l’oblique vacillante, la dépravation suprême et immuable. Putréfaction parmi d’autres. Que gagnerai-je à me croire moi aussi en réserve du néant ? À brandir et clamer le faux comme s’il y restait quelqu’un à convaincre. Et si je n’avais pas envie de continuer dans ce déni. Voilà alors que débuterait véritablement mon récit. Comme d’autres, j’ai moi-même tenté de définir mon identité. Me positionner, affirmer t revendiquer. J’aime, je n’aime pas. Et ainsi construire un semblant fragile de particularisme. J’ai souvent affirmé, définie. Je me suis constamment limité. J’ai souvent parlé par et avec des conventions établies par d’autres sous le seul prétexte qu’elles étaient à mon goût. Ces conventions me semblaient si actuelles, si présentes par mon entremise que j’en oubliais presque quelles furent fruit d’une construction passée et complexe. Dans l’infinité des combinaisons préexistantes, nous sélectionnons ce qui nous meut le plus, ce qui nous sied le mieux. Focalisé sur le gain, il est facile de taire le râle de tout ce à quoi nous avons renoncé. Tout ce à quoi nous avons choisi de renoncer ? Je l’ai cru moi aussi, il est vrai. Fière de guider mon existence et mes actions par le triomphe de ma propre volonté. C’est un combat, c’est une victoire, c’est une conquête, mais jamais une ordonnance de la nécessité. Le divertissement de nos vies est d’une constante banalité. Accepter le rôle qui est nôtre pour se détourner de l’absence et du rien. « Rien », ce mot si dur, si gris, insignifiant de toute nuance, hermétique à toute vie. Et si cela n’était qu’un concept, ouvrage du temps et des Hommes. La vacuité dispose d’une certaine beauté quand elle éclate dans un acte un renoncement. Un non, vomissure grossière envers l’artifice collectif. Mais nous en sommes loin.Aujourd’hui, d’obscurs syllogismes hantent les jours de nombreux pénitent. Nous-mêmes peut-être… Ces êtres trompent la misère de leurs vies en dansant une ancienne gigue faisandée. Ritournelle grisante qui couvre le bruit des cuirs que les miséreux agitent contre eux. Sous la constance d’un ciel impassible, ils dansent et braillent, ivres et aveugles de notre insignifiance partagée. Perdu dans ce temps comme d’autres le furent avant. Ce minuscule Homme-roulis s’amuse et se complait du vent qui balaie le sillage de son être. De la cause à la conséquence il se croit le lien avec autant d’aisance qu’il se voile de ses propres tenant. Telle démesure ne saurait être fondée si elle n’était clamée et proclamée à la gloire d’une noble inconséquence, plus grande encore que l’hybris qui la compose. Les magnanimes de la doctrine brandissent haut l’étendard glorieux de leurs soumissions. Depuis le texte, le dogme et la règle se compose le sordide bataclan des Hommes-roulis, le paradigme, qui à la lettre, consumera leurs jours. Médiation des sens qui profile la médiocrité du quotidien. Bouclier des idéaux qui les dispenses d’appréhender le monde. Ils sont nos fils et ces fils dansent et glosent sur de sempiternels entre-soi. Cantique parmi les cantiques où rien d’autre ne sera évoqué qu’un jeu de pouvoir entre ses orateurs. Ces joutes ont déjà fondé les éphémères cités dont nous nous réclamons. Elles s’immiscent, une fois de plus, dans notre acceptation du Beau, des trépas et des corps. Je refuse que ces bassesses enveniment le rythme de mes nuits. Je refuse que le Faire me dispense d’avoir à être. Je refuse que se Faire nous dispense d’être, de vivre et de crier notre joie, notre dégout. Intrinsèque car direct. Essentiel car instinctif. À nu, il s’agit d’avancer à tâtons dans les noirs tréfonds du nihilisme, arborant avec soi et comme un dernier mensonge la croix d’une vision juste, seule et singulière, lumineuse chapelles dans les enfers inconnus de l’adversité. Je me porte en faux et cela ni par colère ni par peur, mais afin de ne plus œuvrer pour les riches mascarades d’un autre. Fantomatique parmi les fantomatiques, énigme parmi les malentendus. Leurs noires figures transcendent l’horizon vaporeux de nos paradis vaincus.

Quel est le plan une fois quitté le Bordel des cravateux fiscalistes ? Sans doute aucun, c’est de la que découle l’intérêt. Délivré de tout moral, attente et attention, chacun fera face à des lumières neuves.

Factice

Je me garde de parler de ma chapelle, de ma discipline. Je me garde de produire une quelconque théorie. Il me semble que les théories partagent avec les idéaux un certain talent pour être strictement inapplicables, ce qui ne veut pas dire qu’elles furent tout inappliquées. À tous ces imbéciles sans intelligence ni corps, qui ont passé leurs quelques jours sur Terre à mettre en œuvre les balivernes d’un autre, je vous voue une certaine fascination. Vous, les disciplinaires, savez au moins cultiver votre jardin. Vergers du Pape où l’on récolte les poires qui seront adroitement fourrées dans le con des hommes péchant par trop d’esprits. Corps et Esprits, une seconde fois réunis. Il me semble que les jargons puants de telles ou telles chapelles partagent le commun de se prétendre véridiques, libérateurs, alors qu’ils ne manifestent que l’ivresse et l’aveuglement quant aux contextes dans lesquels ils furent éructés. Nous-mêmes actons un vertige de vie, une passion et une intensité de l’existence à l’instant où nous faisons ouvrage or ce serait oublier que nos passions sont empruntées. Fruit d’une histoire collective aux enjeux délimité, nous faisons, comme tout, partie d’un panorama plus large. Pourquoi mentir et se mentir ? Pourquoi feindre la conjonction suprême des destins ? Allons ! On meurt bien designer comme on meurt comptable ou préfet, dans un cocon factice. Comment envisager un épanouissement de l’être dans une si petite parcelle de l’existence que d’autre avant nous, que d’autre avec nous, balaie et inspecte. Voilà la belle affaire. Parler de création revient avant tout à évoquer une existence et les moyens de la faire engendrer. Et vous tous, autour de moi ? Pensez-vous remplir les attentes vos saletés de job. Te concerne-t-il vraiment ? Est-ce qu’il feint devant toi d’être pleinement constitutif de ce que tu appréhendes. As-tu conscience d’une dialectique constante entre vous ? J’aurais enfin cette question plus pernicieuse, mais non moins nécessaire, apporte-t-il quelque chose à autrui ? Je veux dire autre que les devises du symbolique ? Certes, tu me rétorqueras que ces terribles questions sont d’une inconsistance certaine, tant le fait de la laisser geindre, de lui donner corps, révèle un questionnement masturbatoire, cynique, frustré et nihiliste sur notre monde. Je crierai à la révolte et à l’iniquité. Je fustigerai la superficialité et l’inhumanité d’une profession tout entière alors que c’est un monde dans son entièreté qui est battit sur ces maux ? Certes, tu as sans doute raison. Il est vrai que je m’insurge bien vite de l’immoralité, de la trivialité de cette dernière cartouche que j’ai moi-même façonnée par un travail et une réflexion interminable. Cela même alors qu’agit devant nous, avec fracas, une main invisible au revers pernicieux. Tu me demandes ce que j’attends pour participer, à mon niveau à l’infléchissement du néant. Mon silence et mes sarcasmes ne font que m’inscrire dans le flot des quidams aux yeux bandés sur les sentiers de l’insignifiance. Tu n’as pas tort.

Partial.

Si je tire à boulets rouges face au souffle de mes paires, c’est bien pour équilibrer la dominance des vents et faire dévier les regards. Ma parole est forcée d’opinion. En action, elle serait flux ductiles, comprenant et contournant les tumultes, mais gardant un même cap, celui de nous contenir de la bêtise dont se repait l’exercice de la force. À bras-le-corps, ne soyons pas dupes. Ce design qui est nôtre n’a jamais eu d’égards à justifier ni le système dominant, ni ses balivernes serinées, ni ses valeurs sempiternellement répétées ; répétés avec un zélé qui frise la démence et tout cela dans le but ultime et pourtant trop benêt de rentrée dans les normes, de permettre aux autres de rentrer dans les normes. Non, quand j’évoque le nom de design c’est comme une réalité aussi inerte qu’un pot de fleurs que je désire convoquer. Je me passerai bien de ces sourdes lettres de renommé que tu essayes d’inscrire au fronton du taudis que tu érigeas au panthéon des gloires fanées. Tu as joué et désormais tu as perdu. Car par toi se sont bâtis des égos, des démesures. Car en ton nom furent dispensés colère et mépris. Je te débecte. Ton nom n’est que trop commun à mon goût désormais. Non. Ta discipline a cru se structurer en profession, en organisation, en école et en renom. Mais comment peut-elle encore confondre l’intérêt privé au bien commun ? N’y a-t-il pas paradoxe à s’enquérir des plus beaux sommets des cultures, de pouvoir jouir à la croisée des Arts et des Sciences avec une liberté d’engagement sans nul autre pareil, d’être en mesure de raisonner, analyser et comprendre notre monde depuis les cimes de la plus haute forme du présent ? Et tout cela pour enfin galérer à la recherche d’immonde diktat et autre maigre contrat précaire. Salmigondis dont se délectent les chiens des bas étages. Ragout si maigre que je comprends que tu essayes encore de tirer ta petite épingle dans ce jeu délétère. Ne t’y trompe pas. Il n’est guère ici de caprice individuel d’un idiot qui réclame un régime d’exception à l’égard de sa minuscule personne. Je plaide afin que ceux de ma génération, bâtards rejetons rejetés de la folie des réseaux, décapsules leurs dextérités de leurs fentes peu lisses. Je plaide pour que nous n’œuvrions pas, inconscient, telles nos ainées englouties dans la médiocrité de nos sociétés. J’argue que la sclérose sociale et hiérarchique de notre époque tient son règne d’un assentiment volontaire, car irréfléchi. Je plaide pour que nous entamions dès aujourd’hui le premier pas d’une transition qui nous fera mettre à bas la morale qui prétend former notre fraternité. Cadavre putride et terreur d’autrefois que sont ces mots, qui s’ajoutent à nos déterminismes biologiques. Ces quelques mots que je m’empêcherai de nommer ruissèlent et s’insinuent dans nos vies. Du plus fort au plus misérable, leur abstraction prétendent toucher chacun de nous. Mais ils ne sont que d’autant de construction sociale aux problématiques pipée d’avance qui nous empêche de penser et d’échanger en pleine quiétude. L’inquiétude est mauvaise conseillère. Elle agrippe à nos pieds le peu que nous possédions. Quand bien même cet illustre magot ne serait que pacotille, elle en décuple les liens. Est-ce donc pour reconduire cet imposant charnier de baliverne que nous allons bientôt nous investir dans ce monde ? Allons nous mendier notre subsistance à un rythme effréné avec pour seule récompense la fierté d’avoir édifié de nos os, l’éminence de ce monticule chancelant. On oublie trop souvent les cieux à force d’évoquer un ailleurs transcendant. Ici, les lumières les plus criardes embrasent la désillusion des charognes encore tièdes. Elles brulent leurs joues avant qu’elles ne soient rappelé par le relief par trop aigu de cette étrange montagne ; non-sens ultime s’il en est. Avons-nous trop attendu ? Tant d’autres avant ont tenté d’exprimer les fléchissements. Tant d’autres avant moi ont voulu former de ces phrases. Ces phrases qui occultent la simplicité de l’incertitude. Ces phrases qui provoquent sens et apparente beauté. Leurs armes étaient les mots, moi je n’ai que le doute de mon inaction à leur opposer. Nous couvons le sentiment de disposer d’une vie singulière et précieuse. Jusqu’à ce jour on m’a pourtant vanté les mérites de l’échine courbée et du dos rond, de s’intégrer, de converser en psalmodie sur la rengaine toute puissante du fait accompli. C’est bien trop vite oublier que s’il y a commerce de temps et de mot ce n’est qu’avec le fétiche d’autrui. Les Hommes sont changés en rondin, et les rondins sont charriés au long cours des fleuves imperturbables. Qu’ai-je à voir de ces arides reflux draguant l’immondice ? Est-ce bien nos vies inertes qui se meuvent, se heurtent et s’écrasent sur les tristes courants de la modernité ? Des empires érigés ont, à travers les siècles, couru à leurs propres affaissements. Il m’importe que ce passage se fasse en douceur, afin que le vacarme des débandades ne détourne guère notre regard de l’immuable beauté de ce monde. À cet égard, je n’ai rien d’autre à proposer que le plaisir et l’envie de tous et par chacun. Fruit de nos sens et nos intelligences communes, sans prétention ni angoisse. Alors le grand soir commencera dès l’aube.